Paru dans " Le Monde" du 29 mai 2003 :
LAICARDES, PUISQUE FEMINISTES
La question du voile islamique qui réapparaît dans le débat, inquiète depuis longtemps les féministes.
Les jeunes filles ou femmes le portent au nom d’une liberté, celle d’exercer leur religion. Le port du voile n’est pas qu’un signe d’appartenance à une religion. Il symbolise la place de la femme dans l’islam tel que le lit l’islamisme. Cette place est dans l’ombre, la relégation, la soumission à l’homme. Que des femmes le revendiquent ne change rien au sens qui l’affecte. Il n’est plus à prouver que les dominé(e)s sont les plus fervents supporters de leur mise sous tutelle. Il n’est plus sûre oppression que l’auto oppression. Mais les jeunes filles qui s’accrochent à leur voile, ne veulent pas pour autant renoncer aux bienfaits d’un état laïc et officiellement égalitaire.
Or c’est là que réside le nœud du problème. La France est une nation qui respecte deux principes : la laïcité, qui suppose la séparation du religieux et du politique, et l’égalité des sexes. Ces principes sont l’aboutissement de longues luttes, qui tout au long de notre histoire, ont tenté de donner le pas à la loi humaine sur la loi divine et de faire triompher la raison sur la foi. Le droit français s’est construit au cours des siècles, depuis les lois fondamentales du Royaume et les parlements, sur la conciliation et l’équilibrage entre des libertés contradictoires. La laïcité suppose un espace public neutre, libre de toute croyance religieuse, où évoluent des citoyens soumis au même traitement, qui partagent des droits, des devoirs communs et un bien commun, qui les placent au delà des différences discriminantes .
Tant que le port du voile restait dans la sphère de l’intime conviction personnelle, il ne contrevenait pas aux principes qui gouvernent la France. Chacun, chacune est libre en effet de croire en son for intérieur en un dieu, de penser que les femmes seraient des êtres inférieurs, qu’il faut voiler pour éviter aux hommes la tentation, qu’on peut marier de force, lapider si elles sont adultères. C’est cela aussi la liberté de penser. Afficher ce symbole dans l’espace public, régi par les principes de laïcité et d’égalité des sexes, marque une remise en cause de ces principes. On peut encore autoriser un tel affichage au nom de la liberté d’expression. Mais à condition qu’il ne soit pas l’instrument insidieux d’un prosélytisme intégriste, qui range les femmes en deux camps : soumises ou putes. Là où commence la violence sociale, morale ou physique contre les femmes qui ne portent pas le voile, doit s’arrêter la liberté de le porter.
Comment en sommes nous arrivés à douter de ce qui fait la structure et la fierté de notre démocratie ? L’affaire du voile est un symptôme, parmi d’autres de la grande confusion qui règne sur les esprits et des régressions à l’œuvre. La régression a lieu sous l’effet conjugué d’un individualisme mal compris, et d’un complexe d’ex-colonisateur.
L’individualisme : le refus crispé de toute norme, qui renvoie à la phobie du moule, conduit à rejeter toute limite, au prétexte qu’elle brimerait La «liberté ».Chacun est « libre » dans notre système libéralo-libertaire. Libre tout seul ? Toutes ces libertés additionnées, ça donne quoi ? La grande chienlit ? Ou la prévalence de la liberté de certains sur les autres ? Ainsi, nous avons eu abondamment droit, nous les féministes, aux brames indignés de la gent publicitaire et médiatique sur les atteintes à la « Liberté d’expression », dès que nous prétendions faire entendre notre son de cloche sur les débordements des représentations sexistes. Ces indignations hypocrites protégent en fait les intérêts de ceux qui remplissent leurs tiroirs caisses avec ces images. Idem pour la « liberté » supposée de porter le voile : qui sert elle en réalité ? Un voile peut cacher une barbe…
Mais pas touche à mon « droit à la différence » ! Dans notre société post coloniale, travaillée par une culpabilité mal assumée, la phobie d’être accusé de racisme par « refus de l’autre » conduit à la sacralisation irraisonnée de la différence. Nous vivons ainsi sous la coupe d’une bien-pensance héritée des réflexes de « gauche », dont même la droite est victime. Voilà comment, au nom du respect des coutumes, on nous a fait honte quand nous avons décidé de dénoncer l’excision et de porter devant la justice les cas d’excision. De cet état d’esprit apeuré qui se réfugie dans une tolérance tous azimuts, les islamistes jouent à fond, sans état d’âme.
Le drame est, qu’en réalité, cette bien-pensance là est un véritable racisme, qui ne se voit plus, mais qui survit et se réincarne dans l’antiracisme apparent du « droit à la différence ». Le bigotisme islamiste dont l’équivalent chrétien nous indignerait, c’est « bon pour les maghrébin-es »...
Il est vrai en un sens que le voile n’est qu’un épiphénomène : il n’est que la partie émergée de l’iceberg. L’iceberg, c’est la politique de mainmise des « réseaux d’Allah » sur les populations issues de l’immigration, et en particulier sur les jeunes. Grâce à leurs moyens financiers, ils offrent soutien scolaire, aide aux familles en difficulté, persuadent les élus que les jeunes islamisés seront moins délinquants…
Ne pas abandonner nos jeunes à un endoctrinement aussi mortifère devrait être considéré comme une priorité, un devoir « sacré » de l’Etat. Mais il laisse faire, justifié d’avance par les idées de respect des différences et de libertés absolues…
Les obscurantismes ont la vie dure. Mais ne nous laissons pas tirer insidieusement en arrière : les religions doivent être soumises à la LOI, donc au principe de l’égalité des sexes. Evidemment, nous sommes laïcardes, puisque féministes.
En pratique, nous demandons :
a) - l’interdiction du voile dans les lieux d’enseignement et de vie commune (école, fac, entreprise, administration),
- si les agressions envers les femmes non voilées se perpétuaient : l’interdiction du voile dans la rue,
- d’une façon générale, l’application la plus stricte de la loi de 1905,
b) - la fin de l’enseignement des religions hors des cours d’histoire et de philosophie,
- un enseignement des principes du droit des libertés publiques et de leurs bornes,
- un enseignement sur les discriminations : sexisme, antisémitisme, racisme, homo-lesbo-phobie.
Anne Zelensky, présidente de la Ligue du Droit des Femmes,