"Chasse à la sorcière", par Anne Zelensky
Le Monde.fr | 07.03.2011 à 12h10 • Mis à jour
le 02.03.2012 à 07h47 |Par Anne Zelensky, présidente de la Ligue
du Droit des femmes
Une grande
ombre s'étend sur le pays des Lumières. Il ne fait pas bon y exprimerune pensée
libre. Les mêmes qui honnissent la censure et clament le droit à la liberté
d'expression tentent de bâillonner ceux
et celles qui ne pensent pas"correctement". Une
véritable police de la pensée s'est mise en
place via les associations antiracistes et les milieux gaucho féministes.
Me voilà ainsi l'objet d'une vraie curée de la part de
tout un secteur féministe. Depuis que j'ai osé participer aux "Assises
sur l'islamisation de l''Europe", le 18 décembre 2010, je suis
devenue la femme à abattre. On me
range carrément à l'extrême droite. Deux faits attestent de cette chasse à la
Sorcière.
Dans le dernier numéro de janvier 2011 de Prochoix,
en partie consacré à medémolir, on peut
lire sous la plume de Caroline Fourest : "Entre Christine
Delphy qui milite désormais aux côtés des Indigènes de la République et Anne
Zelensky qui milité désormais aux côtés du Bloc Identitaire, le moins qu'on
puisse dire c'est
que tous les chemins du féminisme ne mènent pas à l'universalisme laique…"
Le raccourci est saisissant de malhonnêteté. Les
fameux Identitaires, qui en effet sont parmi les nombreux organisateurs de ces
Assises, sont une poignée de gens catalogués "extrême droite".
En fait, je les ai côtoyés, le temps d'une journée, je n'ai jamais milité avec
eux, puisque mon engagement depuis plus de quarante ans, est aux côtés de la
gauche.
Le vrai danger n'est pas là, dans ce groupuscule
minoritaire. Il est plutôt dans la progression d'une islamisation des sociétés européennes, téléguidée par des extrémistes qui
gagnent du terrain. Cette progression inquiète les peuples et, faute d'être entendus
par leurs dirigeants, ils se rabattent sur l'extrême droite. Mais à gauche, on
en est resté à la vision du fascisme des années 1940, et en s'obsédant sur une
extrême droite qui a évolué, on fait son jeu. La preuve en est la montée
de Marine le Pen, plus préoccupante que l'existence
d'une poignée d'Identitaires. Il faut se poser la
bonne question : pourquoi cette montée des droites en Europe ? Y répondre en
culpabilisant les peuples supposés ignares, et en criant au populisme, du haut
d'une arrogance propre à une certaine gauche de droit divin, là encore ne fait
qu'exaspérer ces
peuples.
Par contre, revenons à Prochoix :
comment qualifier les
procédés de cette revue féministe, qui me consacre donc trois articles,
m'attaquant personnellement, sans jamais citer mes
textes ? Je n'ai pas droit à être entendue.
Les héraults de la tolérance pratiquent des méthodes qui fleurent bon leur
stalinisme.
Deuxième fait. J'étais invitée à animer le 24
février un séminaire à l'EHESS, auprès d'étudiants en master, sur "Ce
que célébrer les 40
ans du MLF veut dire"dans le cadre des Hautes Etudes "Politique et sexualité". Il s'agissait de traiter ce
thème en interrogeant des "historiques" comme moi.
On m'a souvent invitée dans le cadre universitaire. Quelques jours avant, la
chercheuse qui m'avait conviée, me décommande. Soumise à des pressions
violentes, dont elle prétend ne passavoir l'origine
( ce serait des étudiants), elle renonce à m'inviter pour éviterl'obstruction et
le chahut. A part moi, elle a invité d'autres "historique " :
Christine Dephy et Antoinette Fouque. Je gage qu'elle ne décommandera pas
Christine Delphy, compagne de route des Indigènes de la république,
et adepte du voile. Parmi les jeunes universitaires,
elle bénéficierait d'une grande estime. Elevées au biberon du touche
pas à mon pote", celles-ci se soucient plus d'antiracisme que de
sexisme.
Que se passe t il donc ? Comment les héritières
du Mouvement des femmes des années 1970 en sont elles arrivées là ? Un peu
d'histoire s'impose. La plupart des pionnières des années 70 se sont évanouies
dans la nature, sont mortes de chagrin, se sont consacrées aux femmes battues
ou encore se sont réfugiées dans les bras de l'université, via les études
féministes, Gender studies. Le généreux Mouvement des femmes s'est
disloqué, éparpillé en myriades de groupes occupés à remailler les
trous du patriarcat ou à se tailler une
petite place au soleil. Incapacité complète à se coordonner, à tenter d'acquérir une
visibilité politique. Le féminisme est encore dans sa période infantile. Il y a
eu cette superbe explosion, où ont volé en éclats les dogmes et impostures de
la domination, où des femmes se sont mises à penser enfin
par elles-mêmes, où elles ont revendiqué sans concession leur liberté, où elles
ont affirmé leur solidarité avec leurs sœurs. Cela s'est appelé la sororité. Et
puis, on est retourné au no woman's land de toujours, avec
quelques amendements. Rien d'étonnant à cela, l'espérance est violente,
l'Histoire lente.
Comme tous les groupes incapables de convertir le cri
en revendication politique, la plupart des féministes ont cessé d'inventer, ont
déserté le combat et se sont rabattues sur la doxa gauchiste. Abandon d'une
pensée et d'une action féministe autonome pour adopter les
credos de l'altermondialisme : anticolonialisme, antiracisme, rejet de la
civilisation occidentale, préférence pour l'autre, pourvu qu'il soit
d'ailleurs, tolérance à géométrie variable,… Ainsi, les mêmes qui honnissaient
les religions se sont muées en défenseuses
inconditionnelles de l'islam. Pas touche au sacré Coran,
qu'elles n'ont pas vraiment lu. Là où on suit ce texte au pied de la lettre,
elle seraient au cachot ou lapidées. Oui, mais il y a les interprétations du
texte ; oui, mais la religion catholique n'a pas fait mieux… Le"oui,
mais", cette volonté de tout comprendre -
si "féminine" - est la face cachée de l'impuissance
et d'une forme de lâcheté.
Pour ma part, j'ai continué sur ma lancée. Je bouge
encore. Je me permets depenser par
moi-même, avec les risques inhérents à l'exercice. On ne me pardonne pas d'être sortie
du cadre où on m'avait coincée. Après les obligatoires années de purgatoire -
le féminisme n'est jamais une partie de plaisir ni le plus court chemin vers la
reconnaissance - on m'a rangée dans l'armoire des antiquités, celle des
historiques. D'hystériques nous étions devenues, certaines d'entre nous, "historiques".
Entendez par là, momifiées at vitam aeternam dans la posture
de promotrices de l'avortement. Les grouillotes de Madame Veil, en quelque
sorte. L'essentiel était de nous assigner à
résidence. D'autre part, cette reconnaissance a fait grincer quelques
dents du côté des "sœurs", qui n'en bénéficiaient pas.
Sous la sororité, couvait la traditionnelle jalousie pour celle qui réalise ait
ce qu'on ne peut pas faire. Elle
explose maintenant.
Il faut tirer une
vigoureuse sonnette d'alarme. La liberté d'expression est le garant absolu de
la vitalité d'une pensée. Dans ce pays, on ne peut plus rien dire sansêtre immédiatement
vouée aux gémonies, poursuivie au tribunal ou interdite de parole. Ce n'est pas
en faisant taire une parole
dérangeante, qu'on escamotera ce qui dérange.
Anne Zelensky, présidente de la Ligue du Droit des
femmes
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